Cela aura pris un peu de temps mais le réchauffement climatique est désormais considéré par le plus grand nombre comme l’enjeu majeur de notre époque. Si l’on veut assurer un avenir à notre planète, nous sommes tous appelés à modifier nos comportements au quotidien pour réduire autant que possible notre empreinte environnementale. Le domaine du transport, deuxième source de gaz à effet de serre, se trouve bien évidemment au coeur des enjeux de la transition énergétique. Dans ce cadre, l’électrique s’est imposé au fil du temps comme une alternative de plus en plus crédible face au traditionnels moteurs thermiques. C’est pourquoi les régions et les communes françaises multiplient aujourd’hui les subventions pour encourager la population à abandonner la voiture au profit de vélos à assistance électrique.
Toutefois, il serait faux de penser que le VAE est un mode de transport entièrement vert et décarboné. L’inconvénient majeur reste le lithium, qui représente environ 2% du poids d’une batterie et s’avère particulièrement difficile à recycler. Il n’existe à l’heure actuelle que deux centres de traitement en France, alors que la collecte de batteries usagées de vélos électriques devrait dépasser les 100 tonnes en 2020. Des investissements massifs sont donc à prévoir pour faire face à l’augmentation continue de ce type de cycles, à moins de trouver une autre solution. Comme, au hasard, l’hydrogène.
Le H dans H2O
Si vous n’avez pas été trop traumatisés par vos cours de chimie au collège et au lycée, vous devez vous souvenir que l’hydrogène est le tout premier élément du tableau périodique. Composé d’un proton et d’un électron, c’est à la fois le plus simple, le plus léger et le plus abondant dans l’univers. On le trouve en quantité sur Terre, puisque notre bonne vieille planète est recouverte à 70% d’eau, dont les molécules sont formées de deux atomes d’hydrogène pour un atome d’oxygène. H2O CQFD !
Ces propriétés, mises en évidence dans la seconde moitié du 18e siècle par d’éminents chimistes comme Henry Cavendish ou Antoine Lavoisier, n’ont pas tardé à donner des idées à d’autres esprits brillants de l’époque, plus versés dans l’ingénierie. Ainsi, en 1799, Philippe Lebon prédit que le gaz hydrogène serait « une force applicable à toute espèce de machine ». Deux siècles plus tard, cette formule reste parfaitement vraie. Et on serait même bien tenté de voir dans l’hydrogène le sauveur providentiel de l’industrie du transport.
Les avantages de l’hydrogène
Présent partout sur le globe, l’hydrogène ne présente aucune chance de se tarir, au contraire des énergies fossiles (pétrole et charbon en tête) sur lesquelles notre modèle énergétique repose encore en grande partie. Il peut être produit à partir de l’eau, mais aussi de l’électricité ou d’énergies primaires comme l’éolien ou le solaire. On a calculé qu’un kilo d’hydrogène était capable de libérer trois fois plus d’énergie qu’un kilo d’essence, le tout sans produire ni pollution ni effets toxiques puisque seules des particules d’eau sont rejetées dans l’atmosphère.
De nombreux véhicules à hydrogène circulent déjà dans le monde : des trains, des bateaux, des voitures ou encore des bus et des tramways. Ils utilisent trois types de motorisation :
- un moteur à hydrogène qui fonctionne sur le même principe qu’un moteur à explosion classique mais en utilisant le dihydrogène comme carburant
- une pile à combustible (PAC) qui se sert de l’hydrogène pour générer de l’énergie et alimenter un moteur électrique
- un système hybride qui associe un moteur thermique et un moteur électrique
Mais qu’en est-il du vélo ?
L’Hydrail Coralia iLint, mis en service en Allemagne en 2018.
Le laboratoire flottant Energy Observer parcourt le globe depuis 2017.
Businova H2, le premier bus à hydrogène français.
Une innovation française
Le tout premier vélo à hydrogène a été commercialisé en 2019 et, cocorico, il est français. Baptisé Alpha, il a été imaginé et développé par la petite société biariotte Pragma Industries. Huit ans d’efforts ont été nécessaires pour donner vie à ce cycle électrique alimenté non pas par une batterie mais par une pile à combustible embarquée sous le guidon.
Pour résumer simplement son fonctionnement, la pile de 250 W contient une entrée pour l’hydrogène mais est aussi traversée par l’air extérieur chargé en oxygène. Leur combinaison produit une réaction qui va transformer l’énergie chimique contenue dans la molécule d’hydrogène en électricité et en chaleur, qui part ensuite vers le moteur intégré au pédalier. Alpha possède une autonomie de 100 km, soit près du double d’un vélo électrique lambda, et indique en temps réel le nombre de kilomètres qu’il vous reste avant de recharger la pile à combustible. Cette opération, qui prend généralement quelques heures pour une batterie électrique, est réduite ici à … deux minutes !
L’été dernier, Pragma Industries s’est vue offrir une opportunité de rêve pour présenter au monde ces performances sans égales. Biarritz ayant été choisie pour accueillir le 45e sommet du G7, la société a fourni pas moins de 200 vélos pour permettre aux journalistes dépêchés sur les lieux de se déplacer pendant les trois jours de l’événement. D’où un rafale soudaine d’articles consacrés aux sujet et une visibilité décuplée sur les moteurs de recherche.
Des collectivités prêtes à investir
Plusieurs communes françaises ont manifesté leur intérêt pour le vélo Alpha bien avant ce formidable coup de projecteur. C’est le cas de Biarritz, forcément, et des ville voisines de Bayonne et Anglet. Mais on peut aussi citer Saint-Lô et Cherbourg dans la Manche, Pamiers dans l’Ariège, Chambéry en Savoie ou encore Bréhémont et Azay-le-Rideau en Indre-et-Loire.
La petite centaine de vélos à hydrogène qui circule actuellement en France a été mise à la disposition de différents types de structures : hôpitaux, entreprises locales, offices de tourisme, associations d’insertion professionnelle, etc. Leur prix à l’unité : 7500 €. Les indispensables bornes de recharge coûtent quant à elles 45.000 € pièce et se comptent donc sur les doigts d’une main. Conséquence : il est tout bonnement impossible aujourd’hui pour les particuliers de commander un modèle puisque l’énorme majorité d’entre eux ne pourra tout simplement pas « faire le plein ».
Les limites de l’hydrogène
L’autre grand écueil que rencontre le vélo à hydrogène est de nature écologique. Cela peut paraître étonnant quand on vient de faire la démonstration de ses admirables vertus non polluantes. Le souci c’est que, si les véhicules alimentés par une pile à combustible n’émettent pas directement de gaz à effet de serre, leur production, elle, a encore un impact négatif sur l’environnement. En effet, le dihydrogène est un vecteur énergétique artificiel, qui n’existe pas sous forme brute dans la nature. Pour l’obtenir, il faut impérativement le dissocier des autres éléments auxquels il est lié par électrolyse de l’eau, gazéification ou vaporeformage du méthane. Des procédés qui consomment énormément d’électricité ou libèrent dans l’atmosphère d’importantes quantités de GES. Ce qui ramène inévitablement aux inconvénients des moteurs thermiques et électriques…
L’hydrogène étant très volumineux, son transport et son stockage sont pour l’instant synonymes de fortes contraintes. Dans le cas spécifique du vélo, cela se manifeste par un poids accru (comptez environ 4 kg de plus) et un design général qui peut rebuter les amateurs de lignes élégantes et atemporelles. Ceci dit, sur un vélo cargo, le réservoir pourrait être placé au fond de la caisse, sous un banc par exemple, ce qui réglerait une bonne partie du problème.
Le futur c’est maintenant
Pragma Industries semble être tout à fait consciente des limites actuelles du vélo à hydrogène. Fin 2019, la société a créé une filiale dédiée exclusivement à la mobilité légère qui développe une seconde génération de cycles tournés cette fois vers le grand public. L’avancée majeure de cet Alpha 2.0 ? Il sera rechargeable en tout lieu grâce à des capsules semblables à celles utilisées dans nos machines à café (à la différence qu’elles contiendront de l’oxyde de magnésium et d’aluminium pour casser la molécule d’eau et isoler l’hydrogène). L’objectif est de le commercialiser d’ici la fin de l’année pour un prix situé entre 4000 et 5000€.
De son côté, la ville de Chambéry, l’une des premières à avoir fait le pari du vélo à hydrogène, a inauguré en 2018 une “route solaire” répondant au doux nom de Wattway. Ce tronçon de 68 m² entièrement constitué de panneaux photovoltaïques a pour vocation d’alimenter, non seulement une borne de recharge pour véhicules électriques, mais aussi une centrale locale de production d’hydrogène destinée à la flotte de vélos Alpha récemment acquise. Un bel exemple de circuit court et complémentaire donc, qui mérite d’être salué et imité. Car c’est avec la multiplication de ce genre d’initiatives que l’hydrogène pourrait bien devenir, dans un avenir proche, un vecteur d’énergie réellement vert.